La musique : L’intérêt pour les instruments

L'intérêt de la musique traditionnelle

     « On les oublie !…Ces chansons populaires. C’est l’œuvre du passé, un passé lointain… Mais si le peuple a oublié ses chansons, il appartient à ceux qui ont à cœur de conserver le souvenir de la vie d’autrefois, d’en évoquer et d’en conserver le lointain souvenir ». Voilà ce qu’écrivait en 1924 Jules Tiersot, originaire du Haut-Jura et important folkloriste de la chanson française. Mais pourquoi garder ces souvenirs ? Quel intérêt ?  Qui a collecté la musique comtoise ? Que contiennent les CD des Alwati avec leurs amis de la Mère Folle et autres ?

     Intérêt sociologique : Aujourd’hui, l’évolution des économies fait craindre le nivellement des cultures. Dans ce contexte, la sauvegarde des cultures régionales, en France comme ailleurs, peut alors prendre figure de trésor. André-Marie Despringre, auteur d’une thèse sur la vie musicale dans le secteur de Saint-Claude, écrit en 1975 : « A l’aube de notre époque post-industrielle, il semble important pour beaucoup de faire référence à d’anciens modes de vie traditionnels – Référence non plus à cause de leur caractère archaïque cher aux romantiques, mais plutôt parce qu’ils sont devenus des lieux possibles d’un ressourcement culturel faisant intervenir un réel désir d’une recherche d’identité régionale. »

     Intérêt musical : Le collecteur Henri Grospierre note en 1924 à propos des vieilles chansons populaires du Jura : « Il y a parmi ces chansons, il faut le dire et le redire, de véritables perles artistiques. Naïves et franches, comme tout ce qui est sorti de l’âme du peuple, elles ont parfois une délicatesse, une pureté de ligne qui force l’admiration des maîtres de la Musique ».

LA CORNEMUSE DE SAINT-CLAUDE. Miséricorde d’une stalle de la cathédrale de Saint-Claude. Vers 1450 Photo : André Vuillermoz
LA CORNEMUSE DE DOLE ” Cornemuse dans l’ancienne chapelle Saint Jérôme de DOLE, inaugurée en 1520 pour les jeunes moines de Cluny qui suivaient les cours de l’Université doloise. Cette chapelle est devenue ensuite celle des Visitandines. Aujourd’hui c’est l’auditorium Karl Riepp.”
LA CORNEMUSE DE SALINS. Médaillon d’une stalle de l’église Saint-Anatoile. Salins. 16° siècle. Dessin de Jean Garneret. Garneret-Culot. Tome 2. p 553
LA CORNEMUSE DE MARNAY. Ange cornemuseux. Château de Marnay (70). 1520. Photo : Claude Renaudin

 

  • Max Buchon (1818-1869)
    Chants populaires de la Franche-Comté
    Sandoz et Fishbacher, Paris 1878
  • Charles Beauquier (1833-1916)
    Chansons populaires recueillies en Franche-Comté, 1894
  • Louis-Henri Grospierre (1874-1936)
    Ce que chantaient nos vieux grands-pères. Vers 1925
  • Marguerite Henry-Rosier, Lucie Cornillot
    Danses folkloriques de Franche-Comté, 1944
  • Garneret-Culot, 1971, 1972, 1985
    Chansons Populaires Comtoises. Folklore comtois. Mis en DVD par Folklore Comtois en 2013
  • Jean Garneret (1907-2002)
    La crèche et le théâtre populaire. Folklore comtois 1974.
  • La tradition franc-comtoise Tome 3 : Musique et danse, 1979. Collectif. Mars et Mercure
  • Patrice Martinot et Sylvestre Ducaroy, Musiques en Petite Montagne.
    Disque vinyle de collectage. 1985. MR 4006
  • Patrice Martinot, Collectes en Petite Montagne. 1981 et 1998
  • Colette Dondaine, (1921-2012)
    Noëls au patois de Besançon. SNI Jaques et Demontrond. 1997
  • André Vuillermoz, (1921-2013)
    La Pesse et Les Bouchoux. Les amis du vieux Saint-Claude. 1995
  • La Racontotte, n° 57, 68 et 75 sur la cornemuse.
    N° 65 sur la musique en Petite Montagne.
  • Les Amis du Vieux Saint-Claude, n° 27, 2004. Musiques traditionnelles en Franche-Comté.
  • Barbizier n° 37. 2013. Article de François Lassus.
    Les trois volumes Chansons populaires comtoises mis en DVD.
  • Répertoire de musique de danse. Gilbert Lavenne. Saint Claude. 1885
    Les Amis du vieux Saint Claude.
  • Cahier de répertoire. Histoire de violon en Petite Montagne du Jura. 64 p. 2014. Les éditions de la Petite Montagne 39320 Saint-Julien

MUSIQUES TRADITIONNELLES EN
FRANCHE-COMTE

 

INTRODUCTION

 

            J’aimerais
commencer cette conférence par une anecdote qui expliquera un peu pourquoi j’ai
accepté d’emblée de participer d’une façon ou d’une autre à cette réflexion de
ce soir sur les musiques traditionnelles en Franche-Comté :

            Avec
le groupe des Alwati, nous étions un jour magnifiquement reçus dans une ville
comtoise (pas à St Claude) après une prestation. Et au vin d’honneur qui
suivait, le responsable politique (et pas n’importe qui) s’approche de moi pour
me glisser à l’oreille : Mais on sait bien qu’il n’y a pas de musique
folklorique en Franche-Comté
…… Vous savez que pour ouvrir une
réflexion, il faut transformer une affirmation en question : Donc :Y a t-il une
musique traditionnelle en Franche-Comté ? (Nous reviendrons sur l’appellation
“folkorique/traditionnel”. Pour l’instant c’est à prendre dans le
même sens).

            Cet
homme politique n’est pas seul. Beaucoup de musiciens traditionnels de Fr-Comté
pensent aussi qu’il n’y a rien ou pas grand chose d’intéressant dans notre
région et préfèrent jouer les musiques du Morvan, de Bretagne ou d’Irlande. Et
aujourd’hui rien de mieux que le celtique ! Au risque de vous surprendre, je
vous dirais que moi aussi, j’ai longtemps pensé pareillement. Certes, je savais
vaguement qu’il y avait quelque chose. J’avais vu des groupes folkloriques,
entendu le disque des gauchnots de Luxeuil. Mais ça ne m’intéressait pas
beaucoup. C’était vieux, lourdeau, paysan. Et d’abord, c’était à peine de la
musique, une sous-musique. La vraie musique pour moi, c’était la musique
classique, la musique des conservatoires, pas celle des accordéons.

            Ce
mépris pour la musique traditionnelle (car il faut parler de mépris) fut
longtemps partagé par beaucoup, du moins en France. (c’est même, je crois bien
une exception culturelle française). Pour bien le comprendre, il est bon de
prendre du recul à la fois historique et géographique. J-S Bach ne s’est pas
gêné pour puiser les airs de certaines cantates dans les chants populaires. Au
19°, le tchèque Dvorjak disait : La musique vient du peuple, nous ne faisons
que l’arranger
. C’est que dans les traditions allemandes ou tchèques
par ex, on ne sépare pas musique savante et musique populaire. Elles se
fécondent mutuellement. L’une apporte la vie, le sens, la pêche ! L’autre la
richesse de la mise en forme. En France,
par contre, au 17° siècle, toutes les élites furent aspirées à la cour royale.
La musique du royaume était entre les mains de Lully, alors que dans toute
l’Europe, elle se renouvelait dans le foisonnement des villes et des
principautés. La France républicaine aggravera même ce processus centraliste,
jacobin. (pensez à l’interdiction du patois !). La musique de tradition orale
va alors se rabougrir, tout juste bonne pour campagnards en goguette ! Quelle
différence avec le flamenco, les polyphonies sardes, corses et basques, le
violon roumain ou tzigane, ou encore la musique irlandaise !

            Avant
d’en arriver à la Franche-Comté, nous allons suivre rapidement ce qui s’est
passé en France pour sortir de ce mépris et redonner des lettres de noblesse à
la musique populaire. Les journées du patrimoine y contribuent aujourd’hui
fortement, mais cela a commencé bien avant. Je verrai deux grandes étapes : le
folklore, puis le folk : (la 3° étape serait les journées du patrimoine qui
situent bien la musique dans l’ensemble du patrimoine).

 

1° étape : LE FOLKLORE

 

            Le
mot FOLKLORE est récent. C’est un terme anglais qui date de 1846 et qui
signifie “science du peuple”. Pour trouver un mot français
équivalent, on pourrait dire ETHNOLOGIE (qui vient d’ailleurs du grec). C’est
l’étude des divers groupes humains qu’on appelle ETHNIES. Une ethnie est une
communauté de même langue et de même culture, à ne pas confondre avec RACE qui
se définit par des critères physiques et non culturels. On peut alors parler
d’ethnologie comtoise au sens de folklore comtois comme le fait la revue
BARBIZIER : revue régionale d’ethnologie franc-comtoise, avec comme
sous-titre : Bulletin de liaison de Folklore Comtois.

            L’étude
du folklore apparaît au 19°. L’Allemagne nous précède de 50 ans. (les premières
publications des contes et légendes sont de 1805). En France, il faut
pratiquement
(Daniel
Paquette dit même avant 1850 en Fr-C)
attendre le décret Ampère-Fortoul de 1852 sous Napoléon III. Ce décret demande aux
préfets de sauvegarder le patrimoine ORAL dans chaque département. Arrivent
alors :

– des créations de revues (comme la revue celtique en 1870, ou la revue Les gaudes en 1888 en Fr-Comté),

– des créations de musées ethnographiques comme le
Trocadéro en 1879,

– les expositions universelles (1857, 78, 89, 1900)
avec des sections consacrées à l’art populaire,

– des chansonniers régionalistes, les fêtes, les
théâtres, comme La crèche comtoise du
chanoine Bailly en 1865,

– Le premier “bal musette” auvergnat est
créé par Antoine Bouscatel en 1867 à Paris (rue de Lappe). En 1880 on compte
150 bals auvergnats à Paris,

– le premier groupe folklorique est fondé en France
en 1888. Il s’appelle Les gars du Berry,
fondé par un sculpteur à Paris !

– le premier cercle celtique breton est fondé en
1917 à Paris.

 

            Fin
19°, début 20°, ceux qui cherchent à sauver les chansons du passé, s’appellent
des “folkloristes“.
Ce sont des intellectuels (entre guillemets), c’est à dire des gens qui ont
fait des études et qui sont capables d’écrire et de publier des livres. Le plus
célèbre est incontestablement Patrice COIRAULT (1875 1959). Travail titanesque,
érudition, virtuosité.

            En Franche-Comté, il faut citer :

– Max Buchon (1863)

– Charles Beauquier 
(1894)

– Henri Grospierre (1923)

– Marguerite Henri-Rosier (1925)

– Henri Cordier ( (1929)

          Et après la guerre de 40 : (on ne les
appelle plus folkloristes mais “collecteurs
!)

Jean
Garneret et Charles Culot
.  530 chansons

           
almanach en 1943 puis Barbizier en
1947.. et Chansons Populaires Comtoises (1971
1972 1985)

            Dans
le 2° tome : Albert DELORT, dit François Condat de St Claude. 3chants sur 7
collectés,

            Dans
le 3° tome de 85 : André-Marie Despringre 43 sur 68 collectés, H. Cordier etc

– 1979
Collectif
La tradition franc-comtoise : Musique et danse.
André-Marie Despringre,

    Claude
Royer, Marie-Lucie Cornillot, Albert et J-C Démard, Jean Cuenin, James
Jacquelin,

1985. Patrice Martinot, Daniel Vacheresse, Sylvestre Ducaroy  Musiciens routiniers en P M

            28
danses dans le disque vinyle + 50 ? non publiées

1997. Colette Dondaine  Noëls bisontins.  71
airs

André
Vuillermoz
14 chants, mais tous déjà dans Garneret, sauf certaines
variantes.

 

            A
côté de ces chercheurs folkloristes, de ces “collecteurs” qui donnent le folklore savant, les
groupes folkloriques (qui donnent le folklore ludique) prennent leur
essor tout au long du 20° siècle jusque dans les années 60. Et ce n’est pas un
hasard. POURQUOI L’ESSOR DE CES GROUPES
A CE MOMENT-LA
? Il faut relier
cette montée des groupes avec la baisse de la civilisation paysanne. On a dit :
l’apparition d’un groupe folklorique est comme le faire-part de décès d’une
tradition paysanne. Car tant que l’ensemble d’une société partage une même culture,
l’idée ne vient à personne de la montrer sur scène. Pourquoi montrer des
costumes que tout le monde porte ? Ce qui explique la création des groupes
folkloriques, c’est la disparition des danses, la raréfaction des costumes,
l’éloignement de la culture traditionnelle, à commencer par l’éloignement
géographique. Vous avez noté que les premiers groupes (bretons, auvergnats,
bérichons) ont été créés loin de leurs provinces, à Paris. Car il faut une
distance (géographique ou professionnelle) pour se rendre compte de la valeur
d’un monde qui s’en va et qu’on veut sauvegarder.

            EN
FRANCHE-COMTE :

– Le Diairi de Montbéliard (chants mais pas danses.
Luthériens) (Avant guerre ?)

– Les gauch’nots de Luxeuil fondé par Jacques
Frichet ( 1950) (Directeur de la foire comtoise)

– Champlitte fondé par Albert Démard

+ La Gentiane fondé par Jean Cuenin à Besançon vers 196o à la MJC Palente (ajout
en 2023). Disque vinyle)

– Les Corrévrots de Corravilers (70)

– Les compagnons de Saint Lazare de Devecey (25)…

– Le Valdahon

– Les armaillis du Mont d’Or à Jougne

– Pontarlier (La
chaux d’Arlier
?)

            Dans
le Jura

– Les fiouves de Censeau fondé par André Vauchez
(1960 ?)

– Le groupe folklorique populaire jurassien fondé en
1964 par Serge Jeanblanc

– Les Sygovies de Vercia, fondé par Roybier en 1966

– La Naitour d’Arbois…+

 

            Mais
que dansent tous ces groupes ? Jacques Frichet, le fondateur du groupe de
Luxeuil me disait : oh, vous savez, en
Franche-Comté, il y a au maximum 15 danses
. Il voulait dire 15 figures.
Avec les Alwati, nous sommes arrivés à 20. Ce qui veut dire que tous les
groupes font sensiblement la même chose. Signe d’une certaine pauvreté. Mais si
on compte les airs à danser, avec ceux de la Petite Montagne, on doit arriver à
une centaine. A quoi s’ajoute 600 chansons, (signe d’une certaine richesse).
Soit un total d’au moins 700 airs en
Fr-C. Mais restons modeste. Dans le nivernais, Achille Millien (1838-1927) a
collecté 2500 airs au 19° !

 

            REGARD CRITIQUE SUR LES GROUPES
FOLKLORIQUES
:

            Premièrement
: manque d’authenticité par les acteurs, les personnes. Le surgissement des
groupes folkloriques n’est pas un sursaut vital des cultures paysannes. C’est
en fait une célébration posthume ! Ce ne sont plus des paysans qui en prennent
l’initiative, mais des intellectuels, des artistes, des instituteurs, des
professeurs. D’une autre culture, ils risquent de voir le monde paysan à leur
manière, comme la fille baissant modestement les yeux ou le garçon paradant les
mains sur les hanches. La fête folklorique n’est plus une renaissance de la
fête traditionnelle, mais un nouveau visage de la fête moderne. On ne danse
plus les danses anciennes comme la gavotte, mais les danses modernes comme la
valse, la scottish, la mazurka. Les défilés de chars, les élections de reines,
les reconstitutions de noces vont devenir des tartes à la crème pour l’essor du
tourisme, sans garantir l’authenticité des cultures locales.

 

            Deuxièmement
: manque d’authenticité par le contenu. Les groupes folkloriques mettent en
scène ce qui a été sauvé par le folklore savant. Mais ce qui apparaît comme une
simple transmission de savoir, n’est pas sans conséquence. Car avec les groupes
folkloriques, il s’agit du passage de la ferme à la scène. Ils théâtralisent !
Ils vont davantage se soucier de beauté que d’authenticité. (Passe-partout =/=
scie de long). On passe d’une discipline scientifique à une pratique identitaire
et ludique. La représentation théâtrale est une fête alors que la vie
quotidienne reste pénible. Le monde rural devient une carte postale, idéalisée,
figée. Il y a inévitablement distorsion entre la vie et le théâtre, car sur
scène il faut choisir ce qu’on va montrer. Et pourquoi le costume de telle
époque et pas celui d’une autre, quand on ne les mélange pas ? Quand les
groupes folkloriques disent maintenir la tradition, ils risquent souvent de la
trahir. Car on ne peut pas séparer la véritable tradition de la création. Être
traditionnel, ce n’est pas être traditionaliste.

            Politiquement, les groupes folkloriques ont été
encouragés par Le front populaire (front populaire /
Musique populaire = même combat) et mythifié par les régimes conservateurs comme
Franco et Pétain qui se serviront des groupes folkloriques au profit de
l’idéologie du retour à la terre,
voire l’embrigadement de la jeunesse. Aux lendemains de la Libération, l’essor
des groupes reprend de plus belle, avec des organismes qui les fédèrent (2000
groupes), sans se douter que le déclin n’est pas loin.

 

            Cependant,
la critique des groupes folkloriques ne doit pas faire oublier que beaucoup ont
fait un excellent travail de recherche. Simplement, ils gagneraient beaucoup en
abandonnant leur discours sur l’authenticité, pour reconnaître leur part de
création au nom de l’art. Reste qu’à partir de 1960, le mot folklore a de plus
en plus mauvaise presse, pour prendre le sens péjoratif de “pittoresque
mais sans importance, manquant de sérieux et de vérité”. Mais dès cette
époque, le folk pointe déjà
son nez, et ce n’est pas pareil que le folklore.

 

2° étape : LE FOLK

 

            La deuxième étape du retour en grâce de la
musique populaire passe par le FOLK. D’OU
VIENT-IL ?
Il nous arrive des États-Unis dans les années 60. Car là bas,
les ethnologues eux aussi ont réalisé des collectages de chants populaires,
ceux des paysans, des marins, des cow-boy, des soldats, des mineurs, des
esclaves d’autrefois. Or il suffit de modifier à peine ces chants ou d’ajouter quelques
couplets pour leur donner une résonance nouvelle. (On a en France un bel
exemple avec Le temps des cerises.
C’est d’abord un chant d’amour de J-B Clément. Mais en 1870 on ajoute un 5°
couplet où l’on passe des gais rossignols
et merles moqueurs
aux chassepots
vengeurs contre les bourgeois
). Aux États-Unis, pour un meeting
syndicaliste ou pour crier sa révolte contre la guerre du Viet-nam et contre
l’idéologie dominante, les jeunes vont puiser dans les chansons
traditionnelles. Leur mouvement s’appelle le FOLK-SONG, le chant du peuple, ou
plus brièvement FOLK. Le folk n’est donc pas un diminutif de folklorique mais
de folk-song. Un bal folk ne présente pas de danses folkloriques. En Grande
Bretagne, une première vague de chanteurs folk apparaît. Et grâce à la BBC, des
centaines de folk-clubs se créent. En France les premières séances de concert
folk commencent à Paris en 1964.

 

            LES
DIFFÉRENCES ENTRE FOLKLORE ET FOLK. Pour beaucoup de jeunes à la recherche
d’une expression musicale en rupture avec les variétés commerciales, l’essor du
folk-song fut un choc et une révélation. Car vous sentez les différences. Les
groupes folkloriques regardent vers le passé qu’ils veulent sauvegarder et le
monde rural qu’ils figent. Le mouvement folk regarde vers l’avenir pour créer
un monde nouveau. D’autre part, les danses folkloriques sont primitivement
celles des jeunes paysans qui au fond de leur campagne ne connaissaient qu’une
série de danses, celle de leur pays. Avec le folk, c’est d’autres catégories
sociales qui s’en emparent et qui ont fait le choix entre les danses
traditionnelles et d’autres comme le jazz, le rock, les claquettes, la danse de
salon. Ils peuvent également s’adonner aux danses traditionnelles d’autres pays
: bourrées du Centre, branles de la Renaissance, gavotte bretonne, rondeau
landais, contredanses anglaises, kolos yougoslaves, en dro. Les groupes folk
changent régulièrement leur répertoire en puisant dans l’immense réservoir des
enregistrements de K7 et de CD à leur portée, alors qu’un groupe folklorique a
toujours le même répertoire, appris par cœur, comme au théâtre.

            Mais folk et folklore ne sont pas sans rapport. Car les jeunes chanteurs des États-Unis ne
demandaient pas qu’on chante la même chose qu’eux. L’un d’entre eux a même
écrit dans une lettre ouverte aux jeunes des autres pays du monde : ne vous
laissez pas cocacoloniser. Autrement dit, cherchez votre
propre musique dans les collectages des folkloristes. En Bretagne,
immédiatement un homme comme Stivell se rend compte que sa recherche rejoint
celle des chanteurs folk et il va chanter breton !

            A
Paris, des soirées folk s’organisent en 69-71 au café théâtre La Vielle Grille. Des folk-club se
créent comme celui du célèbre Bourdon
en 1969 où parmi les 24 membres fondateurs figure un franc-comtois : Jean-Lou
Baly. Leur but est de propager les musiques traditionnelles de France et
d’ailleurs, non seulement par l’écoute mais par la pratique. Nous sommes au
lendemain de mai 68. On revendique le droit à la parole pour tous. On veut
abattre les frontières entre artistes et public. On refuse la confiscation du
spectacle par des professionnels. Si le groupe folklorique reste un spectacle pour
un public ; dans un bal folk, c’est le public qui est acteur. C’est le partage
de la danse pour le plaisir des danseurs.

            D’autre
part, des musiciens frottés d’ethnologie commencent à sillonner les régions
rurales de France, pour collecter, magnétophone en main, les répertoires
menacés. Devant la richesse de la moisson, Jean-François Dutertre lance une
collection de disques : l’anthologie de
la musique traditionnelle française.
Des festivals se créent dont certains
demeurent toujours comme Ris-Orangis en 1976 et St Chartier en 1977. Dès 1970,
se créent aussi des revues spécialisées, avec dans les années 80 : Modal et Trad Mag.

 

                        Ce
mouvement folk s’appelle aussi “folk revival, le folk qui revit,
qui renaît.
On l’appelle encore Worldmusic, la musique du monde.
Mais je crois qu’aujourd’hui on aurait plus tendance à parler de musiques traditionnelles
(cad principalement orale, donc non fixée, plus ou moins identitaire d’une
région) pour désigner les musiques d’Europe, d’Occident, et Worldmusic pour
celles du reste du monde. On préfère aujourd’hui traditionnel à folk, car
ce mot d’abord français prête moins confusion avec folkorique.

 

            LES
CAUSES DE L’ESSOR DU FOLK. Il faut bien voir que le mouvement folk apparaît
dans les années 1960 dans un contexte tout différent des années 30-40. La
campagne disparaît dans sa diversité, les paysages sont recomposés (remembrements,
urbanismes, hôtels, résidences secondaires, stations services, supermarchés,
boites de nuit, centres de vacances, terrains de camping, VVF, autoroutes. La
nature devient “espace vert”. Il faut la protéger par des
“parcs”. Le paysan devient agriculteur. Le tracteur remplace le
cheval. L’agriculture est soumise à l’économie du marché. Les décisions se
prennent de plus en plus au niveau de l’Europe. L’élevage du porc et du poulet
devient des usines à viande. Bref, le folk est comme l’enfant révolté d’un monde
qui change. La force du folk est de permettre à chacun de réapprendre des
formes d’expression endormies par les média. Permettre à chacun de jouer,
chanter, danser, telle est la base d’une véritable musique populaire.

 

EN FRANCHE-COMTE :

            J’ai
déjà nommé Jean-Lou Baly, membre fondateur du Bourdon à Paris en 1969. Il va
créer avec d’autres copains qui ont 20 ans comme lui, un groupe fétiche MELUSINE.
Ils puisent dans le répertoire des chansons comtoises de Garneret-Culot dont
les tomes sortent justement en 71 et 72.

   On peut
nommer aussi le groupe SANS SOUCI, de la région de Dole. Âgés également de 20 ans, ils passent leurs nuits et leurs
week-end à chercher des harmonisations, à recréer des
airs.

            Dans
la région de St Claude, le chanteur appelé Gérard DALTON réalise un disque de
chansons comtoises, à partir des recueils de Garneret. Dans la pochette du
disque, il écrit : On s’est aperçu que nous possédions une identité franc-comtoise qui se
mourrait, qu’il fallait la défendre ; c’est pour cela que nous avons fait ce
disque.
Donc une démarche plus identitaire que politique.

            Autre
fait marquant : les 5, 6, 7 juin 1976, s’ouvre le festival de musique
traditionnelle de Mamirolle, dans le Doubs. Ce sont les éclaireuses-éclaireurs
de France (la branche laïque des scouts) qui ont cette bonne idée de lancer ce
festival. Bien des groupes déjà célèbres s’y produisent : La Bamboche, Le
Claque-Galoche, La Quiquerne, Mélusine, et…Dalton. Il reste une trace de ce
festival dans deux disques vinyles. Mais les prises de position politique de
certains (anti-nucléaire) entraîneront la suppression des subventions et donc
un déficit de plomb.

            Plus
aucun grand rassemblement n’aura lieu en Franche-Comté, avant le festival de
Mont-de-Laval (4 ans de 1997 à 2000), celui de Monnetay en Petite Montagne, les
21 et 22 juillet 2001, sans oublier le rassemblement des 1400 choristes
jurassiens à Jura-Park sur la chanson comtoise le 19 novembre 2000. Le folk va
surtout se développer par les MJC et les bals folk.

            AUJOURD
D’HUI : Groupes trad ou folk comtois.
Surtout pour  BAL FOLK

– Les Alwati (1979) (Chant, Bal, Artisans)

– La mère folle (1992) (Comtois + Val de Saône +
Morvan )

– Chamave (groupe dissident des Alwati  1992) (Chansons, racontottes en
patois, airs à danser)

– Quartet de Lorette 
(France) 1995

– Anacrouze 1995 ? (France

– Escaliers B   
1990 (France)

– Marche pas dedans 1994 ? (Morvan)

– Croque-notes 1997(Petite Montagne Jura + France)

– Entre-porte (30 ans ?)

– Bayon pon pon (Louisiane, Cajun)

– Harp 1999 Irlande

– Blackwater 1999 Irlande

– Trois petits trolles (France) (Chants + Bal avec
Cr Notes)

– Ogham 1998 celtique-breton

– Ni vu ni connu (France)

– Trad’ment Doubs 
(France et Irlande)

 

Plus aucun grand rassemblement n’aura lieu en
Franche-Comté, avant le festival de Mont-de-Laval (4 ans de 1997 à 2000), celui
de Monnetay en Petite Montagne, les 21 et 22 juillet 2001, sans oublier le
rassemblement des 1400 choristes jurassiens à Jura-Park sur la chanson comtoise
le 19 novembre 2000. Le folk va surtout se développer par les MJC et les bals
folk.

           

            Critique des groupes folk. Nous
avons tout à l’heure risqué une critique des groupes folkloriques. Pour être
juste, il faut dire également que tout n’est pas simple dans le petit monde des
“folkeux”. Je vois deux critiques. D’abord le manque (aussi) d’authenticité; avec un risque de ringardise. Cette
musique traditionnelle est en effet issue d’une civilisation paysanne qui
n’existe plus. Quand on est de la ville, il n’est pas facile de ressusciter la
musique du monde rural, et plus spécialement les chansons. Peut-on facilement
chanter dans une banlieue Les scieurs de
long, Les verriers, Chers compagnons, Le pauvre laboureur
? L’abbé
Grospierre disait déjà en 1924 : “Nos
chansons de terroir ne sont vraiment belles qu’à la campagne
“. Et
James Jacquelin : “De musique
d’enracinement, cette musique est devenue bien souvent une musique de
dépaysement pour intellectuels nostalgiques”
. A noter que pour les
airs à danser, c’est plus facile, car les instrumentistes n’hésitent pas à croiser
les styles pour trouver des rythmes plus modernes. L’expérience des Alwati nous
permet de comprendre ces difficultés. Depuis 15 ans, la saline royale
d’Arc-et-Senans nous demande régulièrement pour des veillées comtoises avec les
classes du patrimoine (des maternelles aux post-lycée). Tout se passe
généralement très bien y compris avec des classes à dix nationalités
différentes. Mais un jour, nous n’avons pas fait assez attention que nous
avions devant nous une classe de quatrième. Et nous avons eu l’impression
d’être vraiment pris pour des ringards. Depuis, nous nous mettons mieux à la
place de ces jeunes déjà pris dans leurs musiques. Et en expliquant, en nous
adaptant, nos interventions passent bien. Reste que sur une grosse fête, à côté
des manèges et des fanfares, nous estimons que nous n’avons pas notre place.

 

            2/ Risque
d’uniformisation.
Les musiques traditionnelles d’aujourd’hui (c’est à dire
urbaine) tendent à se ressembler toutes. Un bal folk à Dole, St Claude ou Dijon
ressemble à un bal de partout. On y joue de la musique de partout, sans trop se
soucier de la régionalité. Les danses traditionnelles s’uniformisent. On
confond folklore (expression régionale) et art (expression personnelle). On
danse et on joue les mazurkas ou les bourrées sans se soucier de leur style
propre, comme si une mazurka d’Alsace se dansait comme une mazurka de Gascogne
! (Besoin des enregistrements !) Cela s’explique car les villes modernes se
ressemblent toutes, alors que le monde rural est profondément marqué par la
terre, le terroir. Ce sont les paysans qui font les produits du terroir. C’est
comme si on nous proposait partout la même cuisine. (Les mac-donald aussi sont
en ville !). Le danger est de tomber dans une musique de nulle part, sans
attache, sans racine, sans ancrage dans une communauté concrète. Entre le
régionalisme un peu chauvin qui tente les groupes folkloriques et une
mondialisation sans âme qui tente les groupes folk, il faut chercher le juste
milieu.

 

CONCLUSION

            Pourquoi
vient-on à ce genre de musique populaire ? Les chemins sont multiples. On peut
y venir premièrement par projet politique, la recherche d’une autre société,
d’autres rapports humains (comme dans l’ambiance du bal folk). Ensuite par
projet musical, parce qu’on trouve ces musiques superbes, pleines de sens et de
vie. Et enfin par projet identitaire, pour affirmer l’originalité de sa région.
Pierre Corbefin du conservatoire occitan de Toulouse a cette belle formule :
“Le folk, dit-il, c’est le delta du Rhône : une seule et même mer accueille
et mélange des bras de provenances diverses”. Beau programme pour nous
unir dans notre diversité.

            Je
vous laisse pour finir sur cette pensée de Stravinsky : “S’occuper de tradition, ce
n’est pas transmettre des cendres, mais transmettre la flamme !
“.

H.M.